La proposition de loi sur la lutte contre les Fake News

La proposition de loi sur la lutte contre les Fake News

La proposition de loi relative à la diffusion des fausses informations a été adoptée à l’Assemblée nationale le 4 juillet. J’aimerais revenir sur le contexte de ce texte, sur le plan national comme sur la plan européen, car il est vrai qu’il a suscité de nombreuses et vives réactions.

 

Pourquoi cette proposition de loi ?

Les dernières élections dans le monde ont montré l’accélération d’un phénomène qui a pourtant toujours existé, mais qui s’est intensifié avec le recours au numérique et plus particulièrement aux réseaux sociaux, la diffusion massive de fausses informations. La campagne américaine qui opposait Donald Trump et Hillary Clinton a été vivement critiquée car des hackers russes ont dévoilé des e-mails tenus secrets d’Hillary Clinton, dans le but de la décrédibiliser et de lui faire perdre l’élection. La Russie a été accusée d’avoir opéré sur les réseaux sociaux pour s’assurer de la victoire de Donald Trump, plus proche idéologiquement de Vladimir Poutine que son adversaire.

Une polémique récente a démontré que les votes du référendum en Grande-Bretagne sur le “Brexit” et des élections américaines, auraient été altérés par la manipulation de l’entreprise Cambridge Analytica des données personnelles des électeurs.

Sur le plan national, les dernières élections ont montré que la France était également concernée, avec le “Macron Leaks” et la diffusion de fausses nouvelles par des sites russes (notamment Sputnik) concernant Emmanuel Macron et l’existence de comptes cachés dans des paradis fiscaux.

Tous ces exemples ont pour but de montrer que oui, la diffusion de fausses informations est loin d’être une question anodine ; au contraire, il devient urgent de commencer des discussions les concernant, afin que chacun prenne la mesure de ce qu’elles peuvent représenter comme menaces pour la démocratie.

Un sujet clivant

Il est vrai que cette proposition de loi connaît de vives réactions, tout d’abord car on lui reproche de venir s’ajouter à tout un éventail législatif qui existe déjà pour lutter contre la diffusion de fausses informations. Depuis 1881 et la loi sur la liberté de la presse qui permet de lutter contre les fausses informations, il est déjà possible pour un juge de sanctionner sur le sujet. Il est aussi important de rappeler que le phénomène des fake news est loin d’être né avec les réseaux sociaux : elles ont toujours existé.

De plus, cette proposition de loi soulève un problème de taille : comment définir une “fausse information” ? Qu’en est-il de l’ironie, des parodies, de la satire, qui sont partie intégrante de la démocratie ? Il faut différencier également la désinformation, qui consiste en une information fausse produite expressément pour influencer l’opinion publique, de la més-information, qui est une information fausse issue par exemple d’une erreur ou fausse manipulation, et de la mal-information, qui consiste en la manipulation d’informations vraies.

La question de la temporalité de cette loi est également remise en question : le choix de limiter ce texte à la simple période électorale peut être questionné, car en-dehors de cette période la diffusion de fausses informations peut aussi avoir un impact négatif sur la société et contribuer à la construction d’une opinion.

 

Qu’apporte la proposition de loi ?

Il faut savoir tout d’abord que loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et notamment l’article 27 répond déjà en partie au problème du phénomène des fausses informations :

“La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros.

Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d’amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation.”

 

Mais la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations entend aller plus loin. Vous pouvez retrouver sur le site de l’Assemblée nationale la proposition de loi déposée par le groupe parlementaire de la République en Marche en intégralité.

La loi apporte plusieurs propositions :

  • En période électorale, les plateformes et les réseaux sociaux doivent rendre public l’identité des contenus sponsorisés, ainsi que le montant des rémunérations qu’ils ont reçus de leur part.
  • Un juge des référés peut être saisi et se prononcer dans un délai de 48h dans le but de faire cesser la diffusion de tout contenu qui serait considéré comme une fausse information et qui pourrait avoir une influence sur le scrutin. Il peut engager le déférencement du site internet qui a diffusé l’information, ou simplement retirer les informations. Si l’auteur des fausses informations est une personne physique, elle s’expose à 75 000 euros et une peine d’emprisonnement d’un an.
  • Le CSA devient l’instance compétente en matière de refus de convention avec un service télévisuel étranger, si ce dernier menace l’ordre public ou la défense nationale, s’il ne respecte pas la liberté et la dignité humaines, ou s’il incite à la haine ou à la violence. Le CSA peut aussi refuser une convention si un service se trouve être sous l’influence d’un pays étranger, et qu’elle s’avère susceptible de nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation, ou de participer à une campagne de déstabilisation via la diffusion de fausses informations. Le CSA peut également rompre une convention déjà existante si l’un des motifs précédemment cités est constaté.
  • Les plateformes sont appelées à mettre un place un dispositif permettant à chacun de signaler une fausse information, et de rendre ce dispositif accessible et visible. De plus, elles sont dans l’obligation d’informer les autorités publiques compétentes de tout contenu qui leur est signalé. Ce dispositif s’appelle le “notice and take down”.

 

Mes propositions d’adaptation

J’ai proposé un amendement ayant pour objectif de lutter contre la diffusion de fausses informations grâce à une plus grande transparence. Je ne pense pas que les sanctions pécuniaires ou autres soient les moyens les plus efficaces, je pense que l’éducation mais aussi un contrôle citoyen seront plus performants.

J’ai déposé un amendement demandant une plus grande transparence des algorithmes utilisés par les opérateurs de plateforme. Vous pouvez le consulter ici.

Dans la lutte contre les fausses informations, de nombreux acteurs constatent qu’elles sont souvent mises en avant par les algorithmes des plateformes (réseaux sociaux, moteurs de recherche). Si ce genre d’algorithmes a un effet sur la diffusion de fausses nouvelles, nous demandons à pouvoir en étudier les biais, pour mieux les contrôler et contribuer à la diffusion d’une information impartiale.

Ces statistiques doivent être consultables par tous en ligne et être réutilisables. Il ne s’agit nullement d’accéder au fonctionnement de l’algorithme en lui-même, la publication des effets d’un algorithme ne menant pas à la possibilité de le reproduire. Ainsi, il n’y a pas d’atteinte au secret des affaires et à la liberté d’entreprendre, ni de frein à l’innovation.

A titre d’exemple, un travail a été réalisé par Guillaume Chaslot, ancien ingénieur informatique auprès de YouTube. Dans un article rédigé pour Médium, il détaille ainsi que :

« plus les gens passent de temps sur ces vidéos, plus elles rapportent des revenus publicitaires à Google. La plupart des plateformes font des choix similaires. Or, ce choix a un effet pervers qui a un impact majeur sur l’information mondiale ».

 

Autrement dit, les algorithmes déduiraient que les contenus les plus efficaces pour capter l’attention de l’utilisateur sont des contenus polémiques, pas nécessairement vérifiés, aux formats courts et susceptibles de véhiculer des fausses nouvelles, et en proposeraient davantage. Par exemple, l’algorithme de YouTube proposerait plus de contenus affirmant que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune plutôt que des documentaires sur le fonctionnement du système solaire, car l’utilisateur y passerait moins de temps. Le site algotransparency (https://algotransparency.org) illustre l’influence de cette dynamique sur les élections présidentielles française et allemande de 2017.

Face à ces déclarations Google a affirmé que la méthode employée par leur ancien employé n’était pas fiable et donc que leur algorithme n’aurait pas de telles incidences. Il conviendrait d’objectiver ce débat, en se basant sur des données à même de nourrir des travaux indépendants menés par des chercheurs, des associations ou des citoyens engagés. Cela nous permettrait par exemple de comprendre si un algorithme est plus ou moins responsable de l’affichage régulier de certains types de contenus qui véhiculent notamment des fausses informations.

Cet amendement propose un dispositif ponctuel dans le cadre d’un travail de longue haleine sur la régulation des plateformes. Une réflexion devra notamment être menée sur la coordination des différents régulateurs impliqués dans ce domaine (CNIL, ARCEP, CSA, Autorité de la concurrence, etc.) et sur l’éventuelle création d’une instance de régulation des plateformes.

 

Le 2 juillet, mon amendement sur l’obligation de publication de données permet d’étudier l’impact des algorithmes a été adopté.

 

 

 

Qu’en est-il de la législation hors de France ?

  • La position de la Commission Européenne

De nombreux débats ont eu lieu au sein de la Commission Européenne, afin de savoir s’il était pertinent ou non de légiférer sur la diffusion de fausses nouvelles au niveau européen.

Un groupe d’experts a donc été mis en place en novembre dernier afin de réfléchir au phénomène des fausses nouvelles, en vue des élections européennes de mai 2019. Ce groupe composé d’agences de presse (comme l’AFP ou Reuters), des représentants de plateformes comme Google ou de réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, a présenté un rapport en janvier 2018. Il conseillait notamment de pousser les plateformes en ligne et les réseaux sociaux à établir un code de principes qu’ils s’engageraient à respecter, ainsi que l’explication de comment leurs algorithmes sélectionnent les informations présentées. Ce rapport recommande donc une approche autorégulatrice, et met en avant l’éducation et la pédagogie, qui sont selon lui de meilleurs moyens de lutter contre les fausses informations.

A la suite de ce rapport, la Commission Européenne a fait des annonces concernant les fausses informations le 26 avril, et a déclaré qu’elle ne comptait pas suivre l’exemple de législation de l’Etat français. Tout d’abord car elle considère que l’arsenal législatif que cela nécessiterait serait trop long à mettre en place, et ensuite car elle attend de la part des plateformes un code de bonnes pratiques pour lutter contre la désinformation d’ici octobre 2018.

Si d’ici octobre 2018, les initiatives de la part des plateformes s’avèrent non suffisantes, des actions règlementaires pourraient éventuellement être envisagées dès décembre. De son côté, la Commission a fait plusieurs propositions comme par exemple mettre en place un réseau de fact-checkers indépendants ou lancer une plateforme transnationale qui proposerait des informations fiables et vérifiées.

  • L’Allemagne

Depuis le 1er janvier 2018, la loi NetzDG est entrée en vigueur : dans le cadre des élections fédérales allemandes, cette loi visait à contraindre les réseaux sociaux à une modération réactive concernant la diffusion de fausses informations. Cette loi concerne seulement les discours haineux sur les réseaux sociaux, qui sont tenus de supprimer sous 24 heures les contenus jugés litigieux, au risque d’encourir une amende pouvant aller jusqu’à 50 millions d’euros. Pour les cas plus compliqués, un délai de 7 jours peut être octroyé.

  • L’Italie

Depuis le 18 janvier, la police italienne a mis en place une plateforme numérique sur laquelle les citoyens sont appelés à signaler de potentielles fausses informations repérées sur internet. Pour chaque information signalée, les services de police spécialisées ouvrent une enquête de vérification qui vise fournir une réponse à l’internaute qui a repéré l’information. La police s’engage à publier un démenti sur son site et ses réseaux sociaux si l’info se révèle être fausse. Si elle se trouve être diffamatoire ou délictuelle, la police peut saisir la justice.

  • La Malaisie

Depuis avril 2018, la Malaisie a adopté une loi sur les fake news qu’elle définit comme « des nouvelles, informations, données et reportages qui sont totalement ou partiellement faux ». En cas de diffusion de fake news, les personnes encourent des amendes et des peines de prison.

 

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