Tribune “Les civic tech à l’heure du Grand Débat” dans la Revue le Trombinoscope
En réponse au mouvement des Gilets Jaunes, le gouvernement a lancé le Grand Débat National, une démarche inédite de démocratie participative et délibérative qui pourrait être un prototype de la démocratie de demain. Que pouvons nous apprendre de cette initiative ? Et quel rôle pour la civic tech dans ce renouveau démocratique ?
Quatre mois après le début du Grand Débat, nous pouvons dresser en un premier bilan : plus de 1,9 millions de contributions, 10 134 réunions avec plus de 500 000 participants et plus de 630 000 pages dans les cahiers de doléances. Des chiffres qui témoignent d’un certain équilibre entre participation en ligne et en présentiel. L’expérience de cette initiative nous montre que les outils numériques sont importants et permettent une participation massive des citoyens, mais ne remplacent pas la démocratie de proximité, celle qui permet de se parler, d’être entendus, de délibérer en collectif, entre citoyen.ne.s ou bien avec nos élu.e.s.
Même si je crois fortement au potentiel du numérique, je pense qu’il est important de ne pas aller vers le tout numérique quand il s’agit de la relation gouvernement – citoyen.ne.s. Par exemple, Taiwan propose une initiative démocratique qui allie numérique et présentiel. Des expert.e.s, des élu.e.s et des citoyen.ne.s contribuent à des débats nationaux en 3 étapes : une remontée d’idées, de faits et d’évidences du terrain, une phase de délibération grâce à l’outil pol.is, et une phase présentielle pour arriver à un consensus. Je trouve cet exemple parlant : un outil open source innovant, développé avec la société civile, qui répond à une demande de participation citoyenne délibérative ancrée dans un processus institutionnel.
Concernant ces nouvelles formes d’échanges et de collaboration via le numérique, nous devons établir des prérequis essentiels : collaboration avec société civile, transparence des codes sources et ouverture des données. Nous avons témoigné du potentiel de l’ouverture des données et la collaboration avec différents écosystèmes lors du hackathon que j’ai contribué à organiser à l’Assemblée nationale. Les 7 projets lauréats permettent de naviguer entre les contributions (Démocratie.app), d’expérimenter différentes méthodologies d’analyse (La Grande Annotation) et de mieux comprendre la participation et les participants du Grand Débat (Entendre la France). Les députés se sont emparés de ces outils pour préparer leurs interventions publiques et leurs prises de positions en Hémicycle en lien avec le Grand Débat, ce qui montre l’intérêt que le numérique et l’analyse des données peuvent avoir pour le Parlement.
Les technologies civiques s’avèrent utiles à la modernisation de nos démocraties. Mais ne soyons pas naïfs, le numérique ne sera pas la solution magique pour résoudre la crise démocratique actuelle. Pour retisser le lien de confiance entre citoyens et gouvernement, l’impulsion du changement doit venir des institutions, en s’inscrivant dans une volonté de long terme d’ouverture et de collaboration plus régulière avec les citoyens, en trouvant un équilibre entre démocratie représentative, participative et délibérative, par exemple via des assemblées de citoyens, des pétitions ou, pourquoi pas, des « grand débat » réguliers. Aujourd’hui, notre défi est double : déverrouiller les blocages institutionnels pour ouvrir des espaces de participation citoyenne avec un impact mesurable et créer des outils numériques adaptés aux besoins et aux types de participation.