Chili : les citoyens plébiscitent un renouvellement de leur démocratie
Dimanche 25 octobre 2020, les Chiliens se sont rendus aux urnes pour un choix démocratique historique. 78% des votants ont exprimé leur souhait d’une nouvelle Constitution. Une assemblée constituante sera élue pour écrire le nouveau texte.
Une révision constitutionnelle nécessaire
Au mois d’Octobre 2019, des Chilien.ne.s sont descendu.e.s dans la rue pour manifester. Déclenchée par l’augmentation du prix du ticket de métro à Santiago, ces protestations sociales sont les plus importantes que le pays ait connu depuis des décennies. D’une contestation du coût de la vie, les revendications se sont portées sur les inégalités sociales. Les inégalités de revenus au Chili sont supérieures de plus de 65 % à la moyenne de l’OCDE. Dans son rapport de 2015, l’OCDE a par ailleurs déclaré que le Chili était le pays le plus inégalitaire parmi les 34 nations les plus riches de la planète. À titre d’exemple, le revenu des 10% les plus riches est 26 fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres*. La mise en œuvre d’un “nouvel agenda social” (Nueva Agenda Social) constitue le cœur des revendications initiales.
Ces protestations ont éveillé l’expression d’un profond ressenti de la population chilienne à l’encontre du système politique et institutionnel. La demande d’une révision de la Constitution via un nouveau processus constituant réapparaît avec force dans les exigences militantes. Le texte constitutionnel**, actuellement en vigueur au Chili, a été écrit et mis en place en 1980 par le dictateur Augusto Pinochet.
Les principales critiques s’adressent à la privatisation des services publics, permise par la Constitution. En effet, celle-ci empêche une régulation plus active de la part de l’État en matière économique***. Les différentes réformes jusqu’alors avaient rendu la constitution compatible avec les institutions démocratiques (durée du mandat présidentiel, rôle du Sénat) mais sans jamais intégrer les demandes populaires tel que le droit à la santé, à l’éducation ou au travail.
D’autre part, les mouvements féministes chiliens**** se sont affirmés durant cette période. Les féministes sont devenues des actrices centrales des contestations populaires et comptent bien peser dans le renouveau démocratique afin d’introduire la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans la nouvelle constitution.
En 2015, la Présidente Michelle Bachelet avait annoncé son intention de mettre en œuvre un processus constituant pour la rédaction d’une nouvelle constitution. Il est abandonné en 2018 et préféré à une nouvelle révision de la constitution par son successeur Sebastián Piñera.
A la faveur de l’Association des municipalités chiliennes (AChM), une consultation citoyenne est lancée en décembre 2019 par plus de 200 municipalités pour demander aux Chilien.ne.s s’ils souhaitent voir une nouvelle Constitution rédigée : sur les 2 millions de votants, 92% se déclarent favorables à ce changement*****. Cette expression citoyenne massive et pacifique force le gouvernement à ouvrir la voie à une révision en profondeur de la Constitution.
De la rue aux urnes : un tournant démocratique historique
Ce mécontentement des citoyens a été marqué par une grande violence. Le procureur général du Chili a estimé qu’au moins 8 500 violations présumées des droits de l’homme ont été commises par la police lors des manifestations******, qui durent depuis un an. En décembre 2019, l’ONU a remis un rapport dans lequel elle conclut que les forces de sécurité se sont rendues coupables de graves violations*******. Il y a un an, j’avais exprimé en octobre 2019 une condamnation de l’usage de la violence pour réprimer les manifestations pacifiques et appelé de mes vœux la mise en place d’un processus de dialogue apaisé.
Je salue la décision des autorités d’avoir entendu les demandes de la société chilienne et d’avoir mis en œuvre ce référendum.
Le référendum constitutionnel du 25 octobre comportait deux questions claires et précises : “Voulez-vous une nouvelle Constitution ?” et “Quel type d’organisme doit rédiger la nouvelle Constitution ?”. Deux réponses étaient possibles pour cette dernière : une nouvelle assemblée totalement élue pour l’occasion ou une assemblée mixte rassemblant pour moitié des parlementaires déjà en place et pour moitié des membres élus.
Cette nouvelle constitution sera donc élaborée par une assemblée constituante, composée de représentants élus spécialement pour l’occasion. Ce choix marque clairement une défiance à l’égard de la classe politique chilienne. Désormais, la prochaine étape du processus constituant sera d’élire, avant avril 2021, des représentants ayant plus de légitimité auprès de la société civile. L’assemblée constituante qui sera élue devra être composée de citoyennes et de citoyens à parité. Je salue la décision d’inclure cette notion essentielle que constitue la parité dans un processus aussi important que celui que le Chili entame aujourd’hui.
Une page se tourne au Chili, mais elle est encore loin d’être écrite. Ce référendum et une nouvelle constitution ne résoudront pas l’ensemble des problèmes auxquels est confrontée la population depuis des décennies, mais ils mettront en place des nouvelles règles du jeu, plus légitimes, plus justes, plus inclusives. Un moment historique pour le Chili.
* http://www.oecd.org/chile/OECD2015-In-It-Together-Highlights-Chile.pdf
** https://web.archive.org/web/20061207024251/ https://www.presidencia.cl/view/pop-up-nueva-constitucion-texto.asp
*** https://jean-jaures.org/nos-productions/chili-rage-et-mobilisation-dans-le-berceau-du-neoliberalisme
**** https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/chili-pas-de-democratie-sans-le-feminisme
***** https://consultamunicipal.cl
****** https://www.cnews.fr/monde/2020-10-04/chili-la-police-aurait-jete-un-jeune-homme-de-16-ans-par-dessus-un-pont-durant-une
******* https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/13/torture-mauvais-traitements-viols-l-onu-denonce-la-repression-des-manifestations-au-chili_6022786_3210.html