Loi anticasseurs : ma position sur ce sujet
Les évènements qui ont marqué la France en novembre 2018 ont relancé le débat sur la nécessité ou non de renforcer notre arsenal législatif pour mieux encadrer et protéger les forces de l’ordre et les citoyens lors de manifestations. Lorsque la proposition de loi “anti-casseurs” est arrivée sur les bancs de l’Assemblée nationale, je m’y suis fortement impliquée. Je suis convaincue que ce texte est nécessaire mais certaines dispositions restent, à mon avis, trop peu équilibrée entre l’impératif de sécurité et l’exigence de liberté de manifester.
Je vous propose de revenir plus en détails sur ce texte de loi en expliquant très concrètement sa nature et en pointant les éléments qui n’étaient pas, pour moi, suffisamment équilibrés.
La loi dites “anti-casseurs” en bref :
- Il s’agit d’une proposition de loi rédigée par les sénateurs “Les Républicains” enregistrée au Sénat le 14 juin 2018. Elle visait à apporter une réponse législative aux débordements constatés lors des manifestations de mai 2018, et notamment celles du 5 et 22.
- Cette proposition de loi a été adoptée par le Sénat le 23 octobre 2018 après un avis de sagesse du Gouvernement (le Gouvernement donne un avis sur chaque texte : favorable, défavorable ou sagesse. Ce dernier signifie qu’il s’en remet pleinement à l’avis des parlementaires sur le sujet).
- Le texte a été étudié par l’Assemblée nationale à partir du 23 janvier 2019 et voté le 5 février 2019.
Le texte modifié par l’Assemblée nationale fait actuellement l’objet d’une étude par le Sénat et sera voté le 13 mars en cas de vote dans les termes, il sera définitivement adopté.
La proposition de loi dispose de deux volets :
- la première relative aux mesures administratives : l’ordre administratif est géré par le Conseil d’État sous l’autorité du Premier ministre.
- la seconde relative aux mesures pénales : l’ordre judiciaire est géré par le tribunal et, est sous placée pour partie sous l’égide du Ministère de Justice. Il est notamment compétent pour régler les litiges entre particuliers (problèmes de voisinage, dettes, atteinte physique, etc).
Si la partie relative à l’ordre judiciaire n’emporte aucune opposition de principe de ma part en prévoyant notamment d’alourdir les sanctions en cas de dissimulation du visage lors des manifestations, le volet administratif n’apporte pas, quant à lui, de garantie suffisante pour protéger la liberté de manifester.
Le texte proposé ne paraissait pas atteindre, en l’état, le subtil équilibre entre protection des forces de l’ordre et des manifestants, et liberté de manifester. Trois points principaux ont cristallisé mes interrogations :
L’article 1er prévoit de mettre en place des périmètres de sécurité aux abords des manifestations afin de procéder à des fouilles systématiques des manifestants, avant de les laisser pénétrer sur les lieux de rassemblement. Ce type de mesure existe déjà en matière de lutte contre le terrorisme, et a notamment été utilisé lors de rassemblements sportifs. Ces périmètres sont mis en place suite à une décision du préfet de police du territoire concerné.
L’article 2 prévoit la possibilité de prononcer des interdictions administratives de manifester. Il s’agit de mesures préventives qui ont pour but d’empêcher leur réalisation, à l’inverse, les sanctions judiciaires viennent punir la commission d’un acte.
L’article 3 prévoit de répertorier, dans un fichier, l’identité des personnes ayant été frappées par cette interdiction administrative de manifester.
Concrètement, l’application de ces dispositions se ferait en mettant en place des périmètres aux abords des manifestations, où, en plus de la fouille, des contrôles d’identité seraient réalisés pour autoriser ou non l’accès.
Si l’objectif reste le même pour tous – la tranquillité de l’exercice du droit de manifester et la protection de nos forces de l’ordre – les dispositions de cette proposition de loi me semblent trop attentatoires aux libertés fondamentales. J’ai donc proposé plusieurs modifications de la proposition de loi visant à rééquilibre celle-ci :
- Allonger les délais de contestation des interdictions de manifester pour en obtenir leur annulation ;
- Prévoir une information du procureur de la République de Paris afin d’avoir une surveillance du judiciaire, conformément à l’adage “le pouvoir arrête le pouvoir” ;
- Renforcer les obligations préalables en cas de prolongement de l’interdiction de manifester, afin d’éviter tout renouvellement non motivé et justifié ;
- Prévoir des dispositions plus protectrices pour les mineurs ;
- Une suppression du fichier répertoriant les personnes interdites de manifestation : le dispositif ne prévoyait pas la durée de conservation de ces données, il s’agit de données hautement sensibles car à caractère politique, elles doivent donc être maniées avec la plus grande précaution.
L’ensemble de ces propositions n’ont pas emporté ni l’avis favorable du Gouvernement, ni de la majorité de mes collègues. Le texte ne disposait alors pas, à mon avis, des garanties suffisantes pour porter atteinte de manière proportionnée à la liberté de manifester, j’ai donc pris la décision de m’abstenir sur cette proposition de loi rédigée par Les Républicains, tout comme 50 de mes collègues. Vous pouvez retrouver l’analyse de ce scrutin ici.