Proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet : ma position sur le sujet
La proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet a été adoptée le 9 juillet 2019. Je vous propose de revenir plus en détails sur ce texte de loi en expliquant très concrètement sa nature et en pointant les dispositifs législatifs mis en place.
D’initiative parlementaire, cette loi est le fruit d’un travail réalisé depuis plusieurs mois par ma collègue Laëtitia Avia. Mandatée pour une mission de réflexion sur le sujet, elle avait remis un rapport au Premier Ministre le 20 septembre 2018.
Plusieurs enseignements pouvaient en être tirés :
- pour 58% des Français Internet est le principal foyer des discours de haine ;
- plus de 70% d’entre eux se sont déclarés déjà confrontés à des discours haineux que ce soit sur Facebook ou sur Twitter.
Ces chiffres très élevés nous prouvent bien qu’il faut une action de la part du législateur pour lutter contre ce phénomène et faire d’Internet un espace plus serein et inclusif.
La proposition de loi votée propose quatre dispositifs majeurs :
- Une obligation de retrait d’un contenu qualifié de haineux sous 24 heures
- Une possibilité d’amende s’élevant à 4% du chiffre d’affaires mondial : en cas de non-respect de cette obligation de suppression sous 24 heures, la plateforme engage sa responsabilité l’exposant à une amende pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial.
- La création d’un parquet numérique et d’une juridiction, spécialisés en matière de lutte contre la haine en ligne, avec la compétence pour poursuivre devant sa juridiction de rattachement les faits qu’il estime les plus répréhensibles.
- La mise en place d’un observatoire de la haine: cet observatoire devra travailler avec les plateformes, associations et chercheurs pour délivrer un rapport sur la mise en œuvre de la loi. Il s’agit du premier espace institutionnel de dialogue entre tous ces acteurs pour parvenir à des solutions communes.
Si ces dispositifs juridiques a posteriori sont la réponse la plus rapide (sanction de l’utilisateur, responsabilisation de la plateforme), il faut aussi construire des mécanismes plus préventifs pour éviter la naissance de la haine en ligne. En complémentarité, une régulation collaborative a priori est nécessaire. En effet, la régulation du numérique ne peut pas être une régulation classique utilisée dans d’autres types de secteur en raison de son instantanéité, son décloisonnement, et le nombre important d’utilisateurs. Les effets de chaque comportement sur une plateforme sont démultipliés : si les discours de haine ont cours dans notre société, ils sont aussi monnaie-courante en ligne et impactent dangereusement nos sociétés. Afin de comprendre comment ces discours de haine bénéficient d’une telle audience et publication en ligne, il faut ouvrir la possibilité d’en retracer les origines.
Plusieurs initiatives de la part des acteurs privés avec une impulsion étatique sont en train d’avoir lieu. En novembre 2018, le Président de la République a annoncé lors de l’Internet Governance Forum une collaboration entre les régulateurs, Facebook et des chercheurs, afin de comprendre le fonctionnement technique et apporter une régulation plus efficace. Cela a donné naissance à un rapport présenté en mai 2019. Ce rapport a été construit en collaboration avec l’ensemble des acteurs pour construire la régulation du XXI ème siècle en matière de lutte contre les géants du numérique et toutes les externalités négatives qui ont été engendrées. Pour le réaliser, les plateformes ont ouvert leurs portes à différents profils : chercheurs, régulateurs, etc. Qualifiée de collaborative, enrichissante, et permettant d’apporter des mécanismes de régulation à la fois technologiquement viables et juridiquement satisfaisants, cette démarche a été saluée. Aujourd’hui il convient d’inscrire cette possibilité au niveau législatif.
Fidèle à cet état d’esprit, nous avons organisé, en juin dernier, une réunion de réflexion avec de nombreux participants : régulateurs du numérique, chercheurs en pointe sur ces sujets, membre de la société civile. Le constat a été unanime, il faut tourner nos efforts vers une exigence de transparence à l’égard des géants du numérique pour comprendre davantage le fonctionnement de leurs algorithmes. En ce sens, j’ai proposé un amendement visant à renforcer les pouvoirs du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel en matière d’investigation pour lutter contre la prolifération de la haine en ligne. Il s’agit d’une possibilité pour ce dernier, dans le cadre de projets d’intérêt général, d’imposer aux opérateurs de mettre en place des API, à leurs frais, afin de transmettre en permanence certaines données pour qu’une étude soit réalisée par des associations, journalistes ou chercheurs.
Si cette idée a fait mouche, une réflexion générale aura lieu sur le sujet lors du projet de loi relatif à l’audiovisuel qui devrait être présenté début 2020. Lors de l’étude de ce texte il s’agira de réfléchir à une réorganisation des pouvoirs de régulation du numérique, ces prérogatives étant pour l’instant éclatées entre la HADOPI, l’Autorité de la Concurrence, l’ARCEP, le CSA et la CNIL. Nous continuerons donc d’approfondir le travail en la matière pour proposer un dispositif soutenable d’un point de vue technologique et garantissant les droits et libertés des utilisateurs pour construire un internet plus vertueux.