Droits des femmes en Amérique latine : le renouveau du féminisme face à des inégalités criantes

Droits des femmes en Amérique latine : le renouveau du féminisme face à des inégalités criantes

Aujourd’hui dans le monde : plus d’un milliard de femmes ne sont pas protégées par la loi si elles venaient à subir des violences de la part de leur conjoint, 200 millions de femmes n’ont pas accès à la contraception et plus de 2,5 milliards de femmes  sont affectées par des lois discriminatoires et l’absence de protection juridique.

Ces chiffres font froid dans le dos et nous rappellent que la problématique des droits des femmes est loin d’être résolue malgré une société civile qui s’engage de plus en plus pour faire entendre ses droits. Depuis quelques temps, une nouvelle vague de revendications émerge, provenant de l’une des régions les plus dangereuses au monde : l’Amérique latine.

Quelle est la situation des femmes dans cette région ? Comment les autorités apportent une protection suffisante ? Par quels moyens les féministes se font-elles entendre ? Autant de questions sur lesquelles nous avons voulu apporter un éclairage et une réflexion lors d’une conférence que j’ai organisée à l’Assemblée nationale, mercredi 18 septembre 2019, sur l’évolution et les enjeux des droits des femmes en Amérique latine.

Ce sujet me tient particulièrement à cœur, et constitue une des facettes de mon engagement depuis le début de ma carrière, à la fois en France et au sein des pays de ma circonscription. Ce colloque s’inscrit ainsi dans un travail que je mène actuellement avec la Présidence de la République, le ministère des Affaires étrangères et l’Agence Française de développement pour mettre en place une feuille de route stratégique pour les relations qu’entretiennent la France et l’Amérique latine. Je défends au sein de ce groupe la mise en place d’un volet consacré à la promotion de l’égalité femmes-hommes. 

Marlène Schiappa : « La diplomatie doit être une voie d’accélération de la lutte contre les inégalités de genre »

La conférence a été introduite par la secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, qui est revenue sur les avancées du gouvernement français sur la scène internationale. Elle a notamment rappelé lappel lancé il y a un an par Emmanuel Macron à l’ONU pour faire de la lutte pour l’égalité femmes-hommes une grande cause mondiale, et le travail qui a été accompli depuis cette date.

Depuis le début de l’année, la présidence française au G7 a fait émerger ce sujet en mettant au coeur des débats des propositions ambitieuses en matière de coopération internationale visant à accélérer l’émancipation économique des femmes. Par exemple en août dernier, le lancement du Partenariat de Biarritz” va permettre aux Etats volontaires d’aller plus loin en matière de lutte contre les discriminations de genre grâce à un partage d’expérience entre pays et de coopération visant à s’inspirer des réussites des uns et des autres. 

Par ailleurs, la ministre a annoncé que la France co-présidera avec le Mexique, de mai à juillet 2020, le Forum Génération Égalité. Vingt-cinq ans après la signature des accords de Pékin, l’évènement sera un temps fort sur le plan de la diplomatie féministe, et sera centré sur la mobilisation de la société civile qui a pu prendre forme notamment grâce à l’utilisation d’outils numériques. 

L’égalité femmes-hommes, un axe majeur du G7 d’août 2019 

Lors du G7 à Biarritz, sous la présidence de la France, les chefs d’État se sont notamment entendus pour :

  • Aider les femmes victimes de crimes sexuels en temps de guerre à se reconstruire physiquement et psychologiquement, en créant un Fonds international qui a été lancé par les Prix Nobel de la Paix Denis Mukwege et Nadia Murad.  Les États du G7 se sont engagés à participer à son financement ;

  • Harmoniser les droits des femmes par le haut, via le Partenariat de Biarritz signé par les États membres du G7. Le texte recense 79 lois et meilleures pratiques du monde entier qui ont renforcé les droits des femmes et  engage les États signataires à adopter au moins une de ces lois dans leur législation ;

  • Soutenir l’entreprenariat en Afrique : facilitation de l’accès au crédit pour les ressortissantes du continent africain souhaitant créer leur entreprises. Déblocage de plus de 2,5 milliards d’euros au profit de 40 000 entreprises dirigées par des femmes.

L’Amérique latine, seconde région la plus dangereuse au monde pour les femmes

À la suite de cette intervention, nous avons ouvert une première table-ronde sur le thème de la violence envers les femmes et l’impunité des féminicides.

Trois expertes du sujet ont débattu : Pauline Carmona, Présidente de l’Association Femmes et Diplomatie au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Geneviève Garrigos, membre d’Amnesty International France et My-Kim Yang-Paya, avocate et fondatrice de l’association Avocats femmes et violences.

Il est important de rappeler que le terme « féminicide » a été inventé par l’anthropologue mexicaine Marcela Lagarde, alors que de plus en plus de femmes sont découvertes assassinées à Ciudad Juarez dans les années 1990. En France, le mot féminicide désigne le meurtre d’une femme par son conjoint ou son ex-conjoint. Le mot n’est entré dans Le Petit Robert qu’en 2015.

12 femmes sont assassinées chaque jour dans la région de l’ Amérique latine et des Caraïbes pour la seule raison qu’elles sont des femmes. 

En Amérique latine, la définition est légèrement différente : le féminicide est le meurtre d’une femme du seul fait qu’elle soit une femme sans qu’il y ait nécessairement une dimension conjugale. Ces violences de genre sont toujours aussi présentes aujourd’hui : Geneviève Garrigos a rappelé que sur les 25 pays considérés comme les plus dangereux pour les femmes, 14 d’entre eux sont situés dans cette région. La présidente de l’association Femmes et Diplomatie, Pauline Carmona, a évoqué l’engagement du ministère des Affaires Étrangères en matière de stratégie d’influence et de prévention interne pour les femmes diplomates à travers le monde. 

Lancement du Grenelle contre les violences conjugales dans l’hexagone

En France, une femme est tuée par son conjoint ou ex-conjoint tous les trois jours. Face à ce fléau, le gouvernement a lancé le Grenelle contre les violences conjugales le 3 septembre 2019, date symbolique en référence au numéro d’écoute 3.9.19. Une période de concertation inédite de trois mois mobilisera l’ensemble des parties prenantes dans le but d’aboutir à des propositions fortes et ambitieuses. Trois grands axes structurent les travaux : prévenir les violences, protéger et prendre en charge les victimes, et enfin mieux punir les violences et féminicides.

Avant la fin de ce processus le 25 novembre 2019, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, 10 mesures d’urgence ont déjà été annoncées par le Premier Ministre parmi lesquelles : 

  • la création de 1000 nouvelles places d’hébergements et de logements temporaires pour mettre à l’abri les femmes victimes de violences ;
  • le lancement d’un audit de 400 commissariats et gendarmeries afin de détecter et corriger les éventuels dysfonctionnements sur la prise en charge des femmes victimes de violences ;
  • la suspension de plein droit de l’autorité parentale en cas de féminicide dès la phase d’enquête ou d’instruction.

L’objectif global de ce Grenelle est prendre des engagements concrets et collectifs visant à lutter toujours plus efficacement contre les violences conjugales.

#NiUnaMenos: la naissance d’une quatrième vague de féminisme

La question de la responsabilité des Etats dans les crimes de genre est structurante en Amérique latine. L’avocate My-Kim Yang-Paya a expliqué que les gouvernements sont doublement responsables en matière de féminicides : non seulement le cadre régalien n’est pas parvenu à protéger les victimes, et d’autre part, les féminicides sont parfois perpétrés par des autorités étatiques, comme par exemple les violences policières et les crimes de guerre contre les femmes. 

Ce tableau insupportable de l’impunité des féminicides dans la région a poussé une partie de la société civile à se révolter dès 2015. Le mouvement #NiUnaMenos lancé en Argentine s’est déclenché à la suite du meurtre de Chiara Paez (14 ans) qui a été battue à mort au domicile de son petit ami alors qu’elle était enceinte de quelques semaines. La mobilisation a eu un retentissement mondial marquant la naissance d’une nouvelle forme de féminisme, une quatrième vague qui a influencé toute une génération de militantes dans la région et à l’international.

En août dernier au Mexique, des milliers de femmes ont manifesté à la suite d’accusations de viol commis par des policiers. Le hashtag #NoMeCuidanMeViolan (« [la police] ne me protège pas, elle me viole ») a été massivement partagé. Face à l’ampleur des protestations, la maire de Mexico, Claudia Sheinbaum, qui avait d’abord traité de « provocatrices » les manifestantes – accusées d’actes de vandalisme pendant les protestations –, a fini, dimanche 18 août, par rencontrer les organisations féministes pour tenter d’apaiser la situation. À la suite de cette rencontre, le gouvernement mexicain devrait communiquer prochainement de nouvelles mesures pour combattre les violences faites aux femmes.

En mai, l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Union européenne avaient décidé de remettre au Mexique 14 millions d’euros dans le cadre de l’initiative « Spotlight », destinée à la lutte contre les violences faites aux femmes, alors que, selon le rapport 2017 d’ONU Femmes, 41 % des Mexicaines ont subi des violences sexuelles au moins une fois au cours de leur vie.

La pénalisation du droit à l’avortement, encore une réalité pour des millions de femmes

Un second « Regards-croisés » autour du sujet de l’accès aux droits sexuel et reproductifs a ensuite réuni Marie-Dominique De-Sureman, urbaniste sociologue, coordinatrice d’un programme européen d’assistance technique aux politiques publiques égalité et genre pour l’Amérique latine chez Expertise France, et Maïté Albagly, ancienne secrétaire générale du planning familial français.

Maïté Abalgy a rappelé que l’Amérique latine était un agrégat d’histoires, de populations et de sociétés très diverses et que chaque pays avait une culture différente. En revanche, un point commun unit la majorité des États de la région sur le plan politique et social : la pénalisation du droit à l’avortement et la pauvreté des droits sexuels et reproductifs. 

Encore aujourd’hui, 24 millions de femmes n’ont pas accès à une contraception en Amérique latine. Au sein de ma circonscription, le droit à l’avortement n’est pleinement reconnu que dans trois pays : Cuba, le Guyana, et l’Uruguay. 

En juin 2018, je m’étais fortement engagée pour les droits des femmes, notamment en Argentine lorsque le projet de loi de légalisation de l’avortement était à l’étude de la Chambre des députés. Le 14 juin 2018, les députés argentins avaient voté de justesse une loi légalisant l’IVG. Je pensais vraiment que l’Argentine allait enfin passer du côté des femmes mais, à ma grosse déception, le 9 août 2018, le Sénat argentin a rejeté la législation, mettant ainsi un terme aux espoirs des organisations féministes.

Le droit de l’avortement en Amérique latine, dans les Caraïbes et en France

  • Cuba devient en 1965 le premier pays d’Amérique latine à légaliser l’avortement. Il n’est rejoint qu’en 2006 par le Guyana et en 2012 par l’Uruguay.

  • L’avortement est interdit en toutes circonstances dans 6 pays : Haïti, Honduras, Nicaragua, République dominicaine, Salvador, Suriname.

  • Le Salvador a l’une des législations et jurisprudences anti-avortement parmi les plus strictes au monde allant jusqu’à punir d’une lourde peine de prison les femmes victimes d’une fausse couche.

  • En France, 17 janvier 1975 : la loi Veil légalise l’avortement, pour des raisons non médicales.

L’avancée des droits sexuels et reproductifs ni garantie, ni linéaire

 

La situation est donc très inquiétante. Marie-Dominique De-Sureman a indiqué que certains gouvernements avancent sur ces sujet, comme l’Uruguay qui a réussi à faire reculer le taux de grossesses des adolescentes grâce à une campagne de prévention et de distribution de moyens contraceptifs lancée depuis trois ans.

Néanmoins, les moyens économiques manquent et le vent peut tourner vite en matière d’avancées de la protection de femmes. La députée et militante vénézuélienne Tamara Adriàn est intervenue pour témoigner du recul avilissant de son pays en matière de droits sexuels et reproductifs, du fait de la tourmente économique et politique actuelle. Ce n’est pas le seul État où l’accès aux droits sexuels stagne ou recule : l’Equateur vient de rejeter un projet de loi qui accordait un droit à l’avortement pour les cas de viol ou d’inceste

Pour les adolescentes, il est aujourd’hui crucial d’améliorer leur santé sexuelle et reproductive, y compris la prévention des grossesses non planifiées, pour assurer leur bien-être socioéconomique. En effet, les complications de la grossesse et de l’accouchement restent une cause majeure de mortalité et de maladie évitables chez les femmes de 15 à 19 ans. La maternité à l’adolescence est associée à une scolarité écourtée des jeunes mères et peut perpétuer le cycle de la pauvreté de génération en génération. Près de la moitié des grossesses d’adolescentes âgées de 15 à 19 ans dans cette région en développement ne sont pas planifiées et près de la moitié d’entre elles aboutissent sur un avortement, le plus souvent dans des conditions non médicalisées

Travailler pour l’émancipation des femmes à la fois dans la sphère privée et publique

Après ces échanges passionnants et passionnées, j’ai eu l’honneur de conclure cette soirée ponctuée par l’intervention de femmes expertes de leurs sujets et surtout engagées depuis des années pour leurs causes.

Je pense que ce fut déroutant pour l’ensemble des participants d’entendre des partages d’expériences aussi réels que révoltants. Mais il faut également garder à l’esprit qu’il y a une mobilisation croissante de la société civile et que différentes voies d’actions sont possibles pour faire évoluer la situation.

Mon mandat de députée me donne l’opportunité de travailler à la fois pour l’émancipation des femmes dans la sphère privée mais aussi dans la sphère publique et économique. En la matière, l’Amérique latine avance parfois plus vite que la France : 17% des entreprises y sont créées par des femmes contre 6% dans l’hexagone ! Il est néanmoins important de préciser que les femmes vivant dans les pays de ma circonscription sont cependant plus présentes dans le secteur informel, ne leur ouvrant donc pas accès aux droits sociaux.

Autre chiffre important, le pourcentage de femmes parlementaires est plus important dans cette région qu’en Europe.

Cinq pays latino-américain sont dans le top 10 des pays où la participation des femmes dans le Parlement est élevée, notamment grâce aux lois de parité en politique dans ces pays.

Les pays de la région avec le taux de représentation de femmes au Parlement le plus élevé sont :

  • Cuba avec 53.2% (2e place au niveau mondial),
  • la Bolivie avec 53.1 % (3e place),
  • le Mexique avec 48.2% (4e),
  • le Costa Rica avec 45.6% (8e),
  • le Nicaragua avec 44.6%(9e).

A titre de comparaison, en Europe, la France est à 39.7% (17e place) et la Suède 47.3% (5e).

L’importance de la représentation des femmes dans les filières d’avenir

Par ailleurs, la question de la représentativité des femmes  dans le numérique est pour moi décisive puisqu’elle porte sur les instances de pouvoir, piliers de notre modèle socio-économique présent et à venir. Lors du G7 numérique en mai 2019, on comptait parmi les 18 participants seulement 2 femmes ! Est-ce étonnant lorsqu’on sait que celles-ci ne représentent que 10% des métiers de la tech ?  Dans un monde qui devient de plus en plus intermédié par les algorithmes et l’intelligence artificielle, il faut s’assurer que les nouvelles technologies ne reproduisent pas mécaniquement des biais culturels et cognitifs sexistes, car si une personne peut changer d’avis, pour une machine la tâche est plus complexe.

Pour cela, il est nécessaire d’offrir dès aujourd’hui les mêmes opportunités professionnelles et de formation, ainsi que de renforcer la valorisation de “roles models” féminins dans les filières où les femmes sont sous-représentées. Le développement technologique et la révolution numérique ne doivent pas enfermer les femmes mais, doivent au contraire leur permettre de se réaliser pleinement. 

Finalement, le paysage des inégalités actuelles en Amérique latine et en France montre que la véritable égalité femmes-hommes ne pourra aboutir que dans une société ayant brisée tous les verrous contraignant encore l’accomplissement des individu.e.s. 

Je remercie à nouveau l’ensemble des intervenantes, des participantes et participants à cet évènement qui ont nourri une discussion riche et dense sur l’avenir du droit des femmes dans le monde !  

One Reply to “Droits des femmes en Amérique latine : le renouveau du féminisme face à des inégalités criantes”

  1. J’ai connu personnellement deux femmes qui ont été agressées violemment par leur conjoint. Les frères ou les enfants interviennent au Mexique. Les françaises éloignées de leur famille sont beaucoup plus vulnérables.
    En ce qui concerne les agressions sexuelles à l’extérieur la police ne prend pas note si il n’y a pas de preuve.

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© 2019 Paula Forteza - Députée des Français d'Amérique latine et des Caraïbes