Mon discours lors du débat autour de l’application StopCovid

Mon discours lors du débat autour de l’application StopCovid

Jeudi 27 mai, je suis intervenue au nom du Groupe “Ecologie Démocratie Solidarité” lors du débat sur l’application StopCovid. J’ai rappelé les raisons pour lesquelles ce projet n’était pas une solution responsable sans réflexion éthique. Plus largement, face au solutionnisme technologique, je défends la nécessité de défendre les valeurs d’un véritable humanisme du XXIe siècle. Retrouvez ci-dessous l’intégralité du discours prononcé à l’Assemblée nationale. 

“’Science sans conscience n’est que ruine de l’âme’. N’est-il pas temps, à l’heure des drones, du scraping massif des données, de la reconnaissance faciale et du contact tracing de revenir à des réflexions comme celles de François Rabelais ? N’est-il pas temps d’inventer un humanisme du XXIe siècle ?

Il s’agirait de ne pas se laisser emporter par le solutionnisme technologique, de ne pas se laisser dépasser par les avancées technologiques, telle une fuite en avant, mais de les maîtriser. D’affirmer que nous ne voulons pas que ce qui est possible techniquement devienne, de façon automatique, quasi mécanique, la réalité. Que nous voulons en décider démocratiquement, après réflexion, études d’impact, analyses de risques, débats de société.

C’était la sagesse qui avait animé Pierre Mauroy, qui en 1982, à la suite de la naissance d’Amandine la première enfant née par FIV, avait ouvert les Assises de la Recherche, et avait positionné la France à la pointe des réflexions sur la bioéthique. Deux idées directrices, d’une actualité criante, avaient motivé à ce moment sa création :

(1) La nécessité d’une adaptation régulière des règles juridiques aux nouvelles applications issues de la recherche en s’interrogeant aussi bien sur leur acceptabilité morale et sociale que sur leurs risques, et
(2) Celle d’assurer l’expression la plus ouverte des opinions pluralistes en vue de dégager les consensus les plus larges possible

Monsieur le Secrétaire d’État, que votre attitude est loin de celle-ci quand vous affirmez notamment que « ceux qui s’opposent à StopCovid à tout prix doivent dire qu’ils acceptent les risques sanitaires, sociaux et démocratiques conséquents (des malades et des morts en plus, ainsi qu’un risque supplémentaire de reconfinement). »

Je crois que ce n’est pas une manière d’aborder sereinement et en responsabilité un débat démocratique que de faire ce type de raccourcis. D’autant plus sans n’avoir aucune preuve scientifique de l’efficacité de l’application que vous défendez.

Pour notre part, c’est bien dans la lignée de la France pionnière en bioéthique, pionnière en protection des données personnelles, que nous voulons inscrire notre action. C’est dans cette lignée que nous déposions il y a un mois une proposition de résolution invitant le gouvernement à mettre au débat et au vote ce projet d’application. Nous regrettons aujourd’hui que ce débat se déroule sous forme de déclaration et de vote bloqué, et non sous forme amendable par les députés.

C’est dans cette lignée aussi que nous vous demandons aujourd’hui de ne pas franchir ce pas en toute urgence et en période de crise. Mais d’établir un principe de précaution numérique. De prendre le temps d’étudier les usages dérivés de cette technologie, qui pourrait déclencher un effet cliquet : en termes de profilage, potentiellement discriminant ? Pour le ciblage publicitaire ? Par les assurances ?

C’est dans cette lignée encore, et parce que nous ne sommes pas technophobes, que nous vous demandons de vous concentrer plutôt sur des usages vertueux du numérique en temps de crise : fabrication de matériel médical avec des imprimantes 3D, création d’applications informatives, optimisation de la distribution de masques et de tests, plateformes de solidarité et d’entraide, développement du télétravail….

C’est dans cette lignée enfin que nous vous demandons d’organiser une convention citoyenne sur le numérique comme celle qui se tient actuellement sur l’environnement. Parce que le RGPD ne couvre pas l’exhaustivité des considérations éthiques liées au numérique et que, de par la rapidité des évolutions technologiques, de plus en plus d’applications aujourd’hui légales posent question et doivent faire l’objet de débats de société.

Cette application présente par ailleurs des risques techniques non négligeables et nous pourrions discuter longuement des détails qui nous sont aujourd’hui présentés :

– Oui, le bluetooth et moins intrusif que le GPS, mais sera comptable d’un grand nombre de faux positifs et de faux négatifs ;
– Oui, le protocole DESIRE est une avancée par rapport au protocole ROBERT, mais un protocole entièrement décentralisé et selon le principe de la confidentialité par conception aurait été largement préférable ;
– Non, les débats sur le caractère centralisé ou décentralisé du protocole ne se chevauchent pas et ne sont pas nécessairement interdépendants avec les débats concernant notre souveraineté numérique ou notre dépendance à de grands groupes américains ;
– Non, l’entièreté du code de StopCovid n’est pas encore à ce jour disponible.

Bref, ces discussions sont importantes, mais là n’est pas la question. Ce que nous devons décider aujourd’hui c’est : est-ce que oui ou non nous voulons légitimer et donc forcer l’acceptabilité sociale de l’usage de cette technologie qui numérise nos interactions sociales par un déploiement massif impulsé par l’État ? Ou est-ce que nous voulons poser les premières bases d’un véritable humanisme du XXIe ?

Vous l’aurez compris : pour notre part, ce sera la deuxième option. Les députés du groupe Écologie, Démocratie, Solidarité s’opposeront au déploiement de cette application à une voix près, celle de Cédric Villani, qui expliquera dans quelques instants sa position”

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