Repensons dès à présent le télétravail comme une évolution pérenne des modalités de travail
Alors que la Convention citoyenne pour le climat s’est saisit du télétravail comme vecteur de transition écologique, et que la crise sanitaire a relancé les débats sur ce sujet et montré de nouvelles perspectives, je préconise de repenser le télétravail, non comme un simple outil du contexte actuel, mais comme une évolution pérenne des modalités de travail. Les partenaires sociaux débattent actuellement d’un nouvel accord interprofessionnel sur le télétravail, mais les représentants des entreprises se montrent réticents à renforcer tant le droit au télétravail que les droits du télétravail. Voici mes propositions.
Le droit à au moins deux journées de télétravail par semaine
Le télétravail n’est pas qu’une obligation liée au confinement. C’est aussi une aspiration d’une grande partie de celles et ceux pouvant l’appliquer : 75% des télétravailleurs du premier confinement souhaitent approfondir cette pratique, en alternant travail à distance et en présentiel.
Lorsque le cadre est moins contraignant, beaucoup d’employeurs refusent le télétravail à leurs salariés. C’est ce que les travailleurs vivent actuellement avec seulement 1,5 millions de Français en télétravail versus 5 millions en mars-avril dernier.
Le télétravail n’est aujourd’hui pas de droit pour le salarié : l’entreprise a le dernier mot pour le refuser ou l’accepter. Les exemples où les employeurs le refusent à leurs salariés abondent, parfois même au risque de leur santé.
Les ordonnances de 2017 avaient permis d’assouplir la possibilité de signer des accords individuels pour permettre le télétravail. Ces nouvelles négociations interprofessionnelles doivent aller dans le même sens en limitant les cas où l’employeur peut s’y opposer, tout en garantissant aux télétravailleurs un traitement égal en matière de promotion, de formation et d’inclusion professionnelles. Je propose d’aller plus loin et que tous les travailleurs qui en font la demande puissent avoir, demain, le droit à au moins deux journées de télétravail par semaine.
Équilibrer cette nouvelle organisation du travail
Le tout à distance n’est pas plus souhaitable que le tout présentiel. Il faut donner la liberté au travailleur de maîtriser son quotidien pour équilibrer son temps entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle.
Demain, le télétravail ne sera plus synonyme de confinement. Et ne devra pas nécessairement et uniquement se tenir à domicile : télétravailler dans 20m2 ou 120m2, avoir ou pas un équipement adéquat chez soi, ne conduit pas aux mêmes conditions de travail ni à la même productivité. Je propose donc la prise en charge par l’employeur de bons équipements (ordinateur, chaise de bureau, par exemple) à domicile mais également de postes de travail dans des espaces partagés, permettant ainsi une nouvelle géographie du travail plus décentralisée. L’équipement, les conditions de travail seraient équivalents à celles du siège de l’entreprise. La rencontre quotidienne entre différents profils et différents projets est un facteur de créativité et d’innovation, mais aussi ce besoin de socialisation qui s’est révélé lors du 100% télétravail du 1er confinement.
L’organisation du télétravail doit se faire avec prudence notamment sur deux éléments qui ont été exacerbés ces derniers mois :
- Alors que 70% des tâches domestiques sont assurées par les femmes, certaines d’entre elles se sont retrouvées proches de l’épuisement total, devant concilier au même moment et dans le même espace des responsabilités professionnelles et familiales.
- Isolés derrière leur ordinateur, la relation de subordination du télétravailleur à l’employeur prend une toute autre dimension en créant de surcroît de nouveaux risques psycho-sociaux. Un sondage réalisé le 20 avril dernier par OpinionWat montrait que 44% des télétravailleurs interrogés se disaient en situation de “détresse psychologique”.
Nous devons passer d’une culture du management basé sur le contrôle, vers un modèle qui responsabilise et mise sur l’autonomie. Les chiffres le montrent : il n’y a pas de baisse de productivité ni d’efficacité en télétravail. Il faut faire confiance !
Le télétravail partiel peut avoir un impact positif non seulement sur le bien-être au travail, mais aussi sur l’environnement
Bientôt, le Parlement sera saisi de la loi sur les recommandations de la Convention citoyenne pour le climat. Cela pourrait aussi être l’occasion d’encourager le télétravail, qui a un impact positif sur l’environnement. Deux jours de télétravail par semaine permettent de réduire de 10% l’empreinte carbone d’un salarié.
50% des actifs vivent à plus de 15km de leur lieu de travail. Cette distance s’est allongée de 2 kms en 20 ans, faisant augmenter le nombre de “navetteurs” à 64% (+6 points). Autre indicateur : plus du quart des déplacements en avion sont liés à des motifs professionnels.
En rapprochant lieux de vie et de travail et en redessinant l’organisation territoriale de ce dernier, le télétravail peut devenir un moyen de privilégier le circuit court. Les élections régionales repoussées à l’été pourront être l’occasion d’aborder ce nouveau défi démographique et économique, en cherchant notamment à multiplier les espaces de travail partagé.
Demain, un territoire redeviendra attractif non pas parce qu’il est uniquement un bassin d’emploi, mais parce qu’il devient un “bassin de services”, avec un cadre de vie à taille humaine. Le télétravail peut devenir, a ce titre, la pierre angulaire d’une stratégie politique de relocalisation, appelée de leurs vœux par nos concitoyens.
Mes tribunes sur le télétravail dans la presse :
-
Avec le télétravail, travaillons en circuit court !– 29 juin 2020 – La Tribune
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Paula Forteza : “Pour un droit à deux jours de télétravail”– 21 novembre 2020 – Le Journal du Dimanche
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