Proposition de loi sécurité globale : les raisons de mon opposition

Proposition de loi sécurité globale : les raisons de mon opposition

Du 17 au 24 novembre, l’Assemblée a été saisie de la proposition de loi LREM sur la « sécurité globale”. Très médiatisée, cette proposition de loi comprend plusieurs dispositions inquiétantes pour nos libertés. J’ai proposé par voie d’amendements des moyens d’améliorer ce texte.

Article 24 : création d’un nouveau délit d’atteinte à « l’intégrité physique ou psychique » des forces de l’ordre

C’est l’article qui a concentré toutes les attentions. Les rapporteurs ont inscrit un nouveau délit dans la loi de 1881 visant à sanctionner la diffusion d’images et d’informations personnelles de policiers sur les réseaux sociaux, pouvant porter atteinte à leur intégrité physique et psychique. Cet article a été popularisé comme celui qui visait à « floutter » l’image des policiers sur les réseaux sociaux.

Au cours des débats, j’ai rappelé que le droit français prévoit déjà l’interdiction de diffusion d’éléments dont l’intention manifeste est de nuire :

  • Notre code pénal comprend des dispositions sanctionnant les menaces de commettre un crime ou délit sur les personnes dépositaires de l’autorité publique (article 433-3).
  • Notre droit de la presse s’applique déjà dans les cas de provocation publique à la haine (art. 24 de la loi de 1881) et de complicité à commettre des infractions sur les personnes (art. 23 de la loi de 1881).

La question se pose alors de la distinction entre captation et diffusion. Le risque de cet article est de limiter, de fait, la captation d’images de policiers en action. Si le gouvernement a, à plusieurs reprises, rappelé que telle n’était pas l’intention du législateur, j’ai proposé deux dispositions :

J’ai enfin rappelé qu’il n’y a pas de rupture de notre droit entre la sphère réelle et la sphère en ligne : créer des délits nouveaux pour l’ensemble des cas de figure qui se passent sur les réseaux sociaux est dangereux, parce qu’il pourrait être soumis à interprétation et limiter à terme la liberté d’expression.

J’ai voté contre cet article.

 

Article 22 : création d’un cadre juridique pour les drones civils de surveillance

Moins médiatisées, les dispositions relatives aux drones n’en sont pas moins inquiétantes.

La grande innovation de ce texte est de venir créer, pour la première fois, un cadre légal pour le déploiement de drones par la police et la gendarmerie. Si cet effort est louable, et vivement encouragé par le Conseil d’Etat et la CNIL, je m’inquiète du périmètre extrêmement large pour les utiliser demain.

Comparé aux caméras de vidéosurveillance, les drones en diffèrent néanmoins sur leur capacité à capter des images de manière beaucoup plus large et beaucoup plus précises.

Les rapporteurs ont souhaité lister les cas autorisés de déploiement des drones (cf. http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3527_texte-adopte-commission#tocUniqueId36). Et ils sont très larges :

  • surveillance des manifestations

  • prévention des crimes et délits de droit commun

  • protection des bâtiments publics et de leurs abords

  • prévention des actes de terrorisme

  • régulation des flux de transport

Mes amendements ont cherché à encadrer le déploiement de ces drones pour éviter une surveillance en continue. C’est pourquoi, j’ai souhaité que le temps de vol des drones soit limité dans le temps et dans l’espace, et pour cela à le conditionner à :

  • des interventions de police au sol : les drones n’ont pas vocation à se substituer aux patrouilles de police, mais à outiller ceux-ci dans des cas précis (maintien de l’ordre, besoin de l’enquête, urgence, etc.)

  • Une autorisation du juge : en procédure pénale, les drones peuvent s’apparenter à des « techniques spéciales d’enquête » (comme les écoutes, les balises GPS) et donc être soumis à un contrôle du juge.

Par ailleurs, la proposition de loi telle que rédigée laisse des vides juridiques inquiétants. J’ai proposé :

  • d’exclure la possibilité de visionner tous les espaces privatifs (jardins, voitures), en plus des domiciles

  • de tenir un registre de vols de drones à posteriori, avec les coordonnées GPS et les motifs d’utilisation

  • de permettre un droit d’accès aux images par les citoyens, comme c’est prévu pour la vidéoprotection

  • d’interdire clairement le couplage entre surveillance par drone et traitement biométrique automatisé (reconnaissance faciale)

Ni les rapporteurs, ni le gouvernement n’ont souhaité prendre en compte ces modifications. J’ai donc voté contre cet article.

Prochaine étape : la reconnaissance faciale ?

Au même moment où la loi était débattue, le ministère de l’intérieur révélait son « Livre Blanc pour la Sécurité 2020 ».

La reconnaissance faciale – pour traiter les fichiers de police (TAJ) ou dans l’espace public – est bien au centre de la stratégie de sécurité. Nous n’avons aujourd’hui eu aucun débat sérieux, approfondi, public et démocratique sur la reconnaissance faciale.

C’est pourquoi, j’ai à nouveau proposé un moratoire de deux ans sur l’utilisation par les autorités publiques, dans l’espace public, de la reconnaissance faciale à des fins d’identification et sans le consentement des personnes.

En proposant ce moratoire, je ne souhaite pas interdire le système PARAFE (aéroport) ou ALICEM (identité numérique). Je ne souhaite pas non plus empêcher les “heat map” (cartes de chaleur) qui détectent les comportements humains anormaux. San Francisco et Portland ont par exemple mis en place un moratoire parce qu’ils considèrent que cette technologie n’est pas suffisamment aboutie : elle comporte des biais liés au genre et à la couleur de peau.

Le temps du moratoire doit permettre le débat. C’est pourquoi je plaide pour qu’une Convention citoyenne du numérique, à l’image de celle sur le climat, puisse débattre de manière approfondie de ces grands enjeu

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