[Mon discours] Projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique

[Mon discours] Projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique

dans le cadre de l’étude du Projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, je me suis exprimée lors de la discussion générale.

Retrouvez mon discours ci-dessous.

Madame la Ministre,

Mesdames et Messieurs les Rapporteurs,

Chers Collègues,

Parce que le projet de loi qui nous occupe aujourd’hui prévoit la fusion de l’HADOPI et du CSA, je regrette qu’il ne soit pas l’occasion de mettre en oeuvre une grande réforme pour la création d’un régulateur unique du numérique.

Les géants du numérique forment des conglomérats économiques de taille inédite dans l’histoire du capitalisme contemporain. Nous connaissons tous Amazon. C’est bien entendu le leader mondial du e-commerce. Mais c’est aussi le principal fournisseur de Cloud. Et demain, Amazon diffusera 80 % des matchs de la Ligue 1 de Football. Les principaux réseaux sociaux, eux, ont créé un modèle d’affaires basé sur le traitement de nos données personnelles qu’il faut suivre de près, mais nous questionnent aussi, par ailleurs, sur les meilleures modalités de modération des contenus. Par quel angle approcher la régulation de ces géants, dont les différentes problématiques sont devenues complètement interdépendantes ? 

Depuis quelques années, plusieurs experts plaident pour un régulateur unique puissant.

C’est notamment aux Etats-Unis les économistes du Comité Stiegler. Selon eux, les plateformes tirent leur puissance des données qu’ils contrôlent et génèrent et peuvent s’insérer dans tous les pans de l’économie. Pour faire face, ils suggèrent la création d’un régulateur unique capable d’imposer des standards en matière de portabilité et d’accessibilité aux données personnelles, de sanctionner les dérives et de faire respecter le droit de la concurrence.

Les Anglais, eux, ont mis en place un “super-régulateur” au début des années 2000, l’Ofcom. Il a sous sa supervision la régulation des télécommunications mais aussi du secteur de l’audiovisuel. Il est doté d’un budget annuel de 120 millions de livres. En comparaison : l’ARCEP c’est 20 millions d’euros, le CSA 36 et l’HADOPI 9.

Nombreux rapports et groupes de travail au niveau européen ont aussi souligné le besoin de convergence, de concentration, pour faire face à des acteurs devenus hyper-puissants.

En France, tous les rapports sur le sujet de la régulation du numérique pointent du doigt ce besoin d’une approche “holistique” et systémique de la question numérique.

Nous sommes malheureusement encore trop souvent dans une approche catégorielle, pour ne pas dire corporatiste, de ces questions. Pas moins de 6 autorités (CSA, CNIL, HADOPI, ARCEP, Autorité de la concurrence, ANJ) ont compétence en matière numérique. A ces autorités, nous pouvons ajouter le CNNUM qui joue un rôle clé dans la réflexion et la définition d’une stratégie numérique nationale. 

Présente déjà dans le rapport Retailleau de 2007, la fusion du CSA et de l’ARCEP est remise à l’agenda dans le récent rapport Ollier qui envisageait plusieurs scenarii.

Les Etats généraux des nouvelles régulations du numérique de 2019 ont aussi mis sur la table l’hypothèse du régulateur unique, en recommandant fortement une collaboration de plus en plus étroite entre les regulateurs. Ils ont mis en exergue la difficulté technique qu’ont aujourd’hui les différents régulateurs pour se saisir de sujets nécessitant une haute expertise technique (algorithmes, cloud, IA, mais aussi maitrise légale du RGPD et du droit de la concurrence).

Pour accroître la capacité des régulateurs, il faut mutualiser les ressources existantes. Pas plus tard qu’hier, un article du Figaro rappelait que l’Autorité de la concurrence, la CNIL et le CSA se lancent dans le recrutement de profils “techs”, d’ingénieurs des données, de “geek” : pourquoi mener en parallèle 3 processus de recrutements pour des mêmes compétences, des mêmes talents qui sont déjà si rares sur le marché de l’emploi ?

Madame la ministre, en misant petit comme vous nous le proposez dans ce texte, nous risquons de perdre gros, puisque nous serons très rapidement incapables d’agir efficacement face aux nouvelles menaces… Je pense aux deepfakes, par exemple pour n’en mentionner qu’une.

Avec la fusion CSA / HADOPI nous accouchons d’une souris, nous restons au milieu du chemin. Les arguments pour ne pas aller plus loin sont de l’ordre de la complexité de la tâche, des rigidités administratives, des diférences culturelles entre les organisations, même parfois des eventuelles vexations individuelles de présidents d’AAII ou de membres de collèges : ce qu’on appelle la dépendance du chemin. Pas d’arguments de fond, pas de préférence stratégique, pas de choix délibéré pour cet état des choses. Juste un renoncement face aux difficultés. Ce n’est pas entendable !

Cet enchevêtrement de régulateurs, ce mille-feuille conduit à un affaiblissement collectif de la puissance publique, qui manque de moyens pour affronter les mastodontes du numérique et la complexité des nouveaux enjeux.

 

Alors que vient d’être élue à la tête de l’Antitrust américaine une jeune économiste de 32 ans, Lina Khan, connue pour son approche critique des positions monopolistiques des géants du numérique, je regrette que nous soyons en France aussi timides. Il s’agit peut être là d’un tournant majeur dans l’histoire du capitalisme numérique et nous n’aurons pas les moyens d’y prendre part activement, faute d’avoir eu tour après tour l’ambition suffisante. 

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