[Mon discours] Projet de loi constitutionnelle relatif à la préservation de l’environnement
Dans le cadre de la 2e lecture du Projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, je me suis exprimée lors de la discussion générale.
Retrouvez mon discours ci-dessous.
Monsieur le garde des Sceaux,
Chers collègues,
Nous voici plongés dans une situation inconfortable. Nous exerçons notre pouvoir de constituant, pouvoir le plus important qui nous est conféré par la Constitution, sans savoir, encore une fois, si tous nos débats seront conduits à terme.
Pourtant, le sujet est d’une importance majeure. Contrairement à ce que certains en disent, il ne s’agit pas ici uniquement d’une querelle sémantique, ce sont bien deux visions de la question environnementale et du rôle de l’Etat qui sont en jeu.
Inscrire dans la Constitution que la France GARANTIT la préservation de l’environnement et de la diversité biologique est un changement de paradigme majeur. Il vient consacrer, dans l’article 1er, la responsabilité de la puissance publique face à l’urgence que nous connaissons.
Jusqu’ici, nous avons trop souvent renvoyé la notion de responsabilité à la charge des individus. L’écologie des petits gestes du quotidien s’est ainsi transformée en écologie de la culpabilisation. Les changements de comportement de consommation, de mobilité, de nos usages quotidiens sont très importants parce qu’ils matérialisent la prise de conscience collective. Mais sans une véritable ambition de la puissance publique, un changement structurel, ils seront vains. Nous avons aussi, pas plus tard que lors de l’étude du projet de loi Climat et Résilience, légiféré pour en appeler à la bonne volonté des entreprises, pour qu’elles veuillent bien mettre en œuvre des dispositions vertueuses en dehors de toutes contraintes. L’incitation ne peut se substituer à la responsabilité de l’État d’imposer de nouvelles règles du jeu, nous permettant d’atteindre nos engagements en termes de réduction des émissions de gaz a effet de serre.
Monsieur le garde des sceaux, la température monte, la pression aussi.
Les décisions de justice administrative récentes vont dans ce sens. Il ne s’agit plus seulement de juger ce que l’Etat fait, mais aussi ce qu’il ne fait PAS.
Dans une décision du 19 novembre 2020, le Conseil d’État, saisi d’un recours de la commune de Grande Synthe contre le refus implicite de l’État de prendre des mesures supplémentaires pour infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre, a relevé que les plafonds d’émission fixés par la France avaient été régulièrement dépassés. Vous n’avez toujours pas convaincu, le rapporteur public l’a rappelé vendredi 11 juin en enjoignant votre gouvernement à “prendre toutes les mesures utiles” dans les 9 mois qui viennent pour que la France puisse tenir ses objectifs.
Dans un jugement du 3 février 2021, relatif à l’« Affaire du Siècle », le tribunal administratif de Paris, après avoir établi un lien de causalité entre l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique et les manquements de l’État à ses engagements internationaux, a considéré que la carence partielle de l’État à respecter les objectifs qu’il s’est fixé engageait sa responsabilité.
Enfin, la plainte de la militante Camille Etienne et l’eurodéputé Pierre Larrouturou devant la Cour de la Justice de la République pour inaction climatique suit également la même logique.
Cette responsabilité n’est pas “aberrante”, pour reprendre le terme employé par le Rapporteur au Sénat.
Elle n’est pas “aberrante” quand on sait le chemin qu’il reste à parcourir en un temps extrêmement limité.
Ce qui est aberrant c’est de vouloir à ce point bloquer ces avancées, par conservatisme et pour des considérations de tactique politicienne.
Prenons un peu de perspective pour mesurer le chemin qu’il nous reste à parcourir. Je viens d’une circonscription où de nombreux pays ont inscrit dans leur constitution des ambitions en matière environnementale beaucoup plus fortes et contraignantes pour la puissance publique que chez nous.
En Colombie, par exemple, la Constitution indique que “L’État a le devoir de protéger la diversité et l’intégrité de l’environnement »
L’on retrouve des formulations similaires, instaurant une véritable responsabilité de l’Etat, dans plusieurs pays de la région comme l’Equateur ou encore la Bolivie.
Au Chili, les Constituants récemment élus, sous l’impulsion des indépendants, réfléchissent à la rédaction de la première Constitution intégralement écologiste. Cette nouvelle Constitution pourrait voir inscrite entre autres la finitude des ressources planétaires.
Nous avons nous aussi, députés du collectif EDS souhaité inscrire la notion de “limites planétaires” dans notre constitution qui est une notion scientifique majeure pour lutter contre le péril qui nous menace. On nous a rétorqué que ce concept était “flou” et inopérant. Faut-il rappeler que selon plusieurs rapports, la France a déjà dépassé 6 des 9 limites planétaires ?
Nous avons aussi défendu des amendements pour introduire le principe de de non-régression (aussi appelé principe d’amélioration constante). Consacré au niveau législatif à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, son inscription nous défendrait d’adopter des lois qui défont le droit de l’environnement. Il faut le rappeler : vous avez été à l’origine d’une régression environnementale majeure en réintroduisant les néonicotinoïdes en septembre dernier.
Les incohérences sont encore plus flagrantes en ce qui concerne le projet de loi climat et résilience. Je ne rappellerai pas ici combien les ambitions voulues par la Convention citoyenne ont été tellement filtrées qu’elles en sont devenues pour la plupart incolores et inodores. D’ailleurs, votre projet de loi deviendrait-il inconstitutionnel selon la même formulation que vous défendez aujourd’hui ? La question se pose !
Chers collègues,
Cette réforme constitutionnelle ne doit pas rester à l’état de lettre morte ou de symbole. Soit cette révision constitutionnelle conserve le verbe “garantir” soit elle n’a même pas lieu d’être.
Nous avons là une opportunité historique : adopter cette réforme constitutionnelle tout en revoyant, en 2e lecture, l’ambition du projet de loi Climat pour répondre à nos propres objectifs environnementaux. Et ce en même temps !
Merci