Mon discours lors du vote de Confiance

Mon discours lors du vote de Confiance

Le 15 juillet , le Premier ministre a sollicité la confiance de l’Assemblée nationale pour la formation de  son gouvernement. Au nom du groupe Écologie Démocratie Solidarité que je co-préside, j’ai exprimé à la tribune les raisons pour lesquelles nous ne souhaitions pas accorder de confiance a priori.

Monsieur le Président, 
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les membres du gouvernement, 

Chers collègues, 

Aujourd’hui, nous ne discutons pas d’un simple remaniement. 

Aujourd’hui, nous sommes amenés à voter sur une vision de société. Les choix que nous ferons nous engageront au-delà des deux prochaines années : ils engageront les générations futures. Ils seront structurants. 

La crise du Covid, dont nous ne sommes pas encore sortis, a marqué un moment de rupture historique et tragique. Nous adressons, députés du groupe EDS, nos sincères condoléances aux familles et proches des plus de 30 000 victimes. Notre soutien reste indéfectible envers nos compatriotes des Outremers et résidants à l’étranger pour qui la pandémie frappe encore très durement.

Cette crise nous a révélé combien nous avions perdu de vue l’essentiel. C’est d’abord un système de soin délaissés depuis de nombreuses années. C’est aussi le plaisir de s’entraider, d’adopter des comportements plus sobres. Mais c’est surtout, la conscience que tout se dérègle. Que le plus petit organisme vivant peut enrayer le cours effréné de la mondialisation et qu’il n’y aura désormais pas d’avenir sans un respect de la biodiversité et de notre environnement. 

Cette crise a aussi accentué les profondes inégalités qui parcourent notre société. Elles sont, bien entendu, sociales, scolaires, territoriales. Mais aussi de genre. Rappelons ici, l’augmentation dramatique de 30% du nombre de plaintes pour violences conjugales pendant le confinement. Redisons que les métiers en première ligne étaient les plus féminisés et dévalorisés.

Il restera, de ce moment de confinement, la sensation paradoxale que nous avons touché du doigt le pire et entraperçu le meilleur, un nouveau monde que nous pourrions bâtir collectivement.

Ce nouveau monde, doit partir des attentes et des espoirs de nos concitoyens. Beaucoup d’associations, syndicats, de mouvements se sont mobilisés ces dernières semaines. Nous avons pu, nous aussi, en dessiner les contours, lors de notre consultation “du Jour d’Après” avec plus de 65 de nos collègues parlementaires, de tous bords, dont vous étiez Madame la ministre de la transition écologique et solidaire, une des plus engagées. 

Ce nouveau monde, les Français le souhaitent plus écologique ; plus démocratique ; plus solidaire.

Ce nouveau monde doit se fonder avant tout sur une principe directeur : la confiance. Vous nous demandez aujourd’hui notre confiance, Monsieur le Premier Ministre. Mais avant de demander la confiance, il faut faire confiance aux français.

C’est eux qui nous ont permis de traverser cette crise : les Français ont été forts, courageux. Nos compatriotes ont prouvé qu’ils sont prêts à faire des efforts, encore faut-il qu’ils que la cause leur semble juste. Entendons, donc, ce qu’ils veulent pour eux, pour les autres et pour leur pays. C’est de là que viendra l’énergie dont nous avons besoin pour reconstruire. 

Pourtant en écoutant le Président de la République hier, en vous écoutant Monsieur le Premier ministre aujourd’hui, nous avons le sentiment que les citoyens sont une nouvelle fois mis de côté des orientations du plan de relance. Que tout est décidé pour eux, sans eux. 

Pour faire avec eux, nous pourrions commencer par imaginer un budget national participatif sur une part des 100 milliards prévus pour la relance. Chaque citoyen pourrait décider de l’utilisation de ces fonds en priorisant les dépenses ou en votant pour des projets qu’il considère comme utiles pour construire le monde d’après. Ce serait une profonde innovation démocratique, que nous retrouvons aujourd’hui au niveau local ou dans des pays comme le Portugal ou le Canada.

Faire avec eux ce sera évidemment soumettre au débat au Parlement dès la rentrée parlementaire, en commençant la session plus tôt si besoin, l’ensemble des propositions de la Convention Citoyenne du Climat. Sans filtre ni sélection. En bloc. Et sans rogner l’ambition.

Ce sera aussi de laisser la main aux acteurs de terrain. Les annonces sur le plan écologique sont à saluer, mesures pour lesquelles nombre d’entre nous se sont longuement battus (plan vélo, moratoire sur l’artificialisation des sols, plan de rénovation thermique des bâtiments, développement du rail et notamment des trains de nuits et du fret ferroviaire, investissement massif dans l’hydrogène).

Ce sont bien les collectivités territoriales qui sont les mieux placées pour mener cette transition. Les moyens devront leur parvenir pour développer les transports en commun, la mobilité propre, l’alimentation locale, les circuits courts.

Il s’agit également de responsabiliser les acteurs privés. Nous avons porté dans les dernières Lois de finances rectificatives, des amendements pertinents et raisonnables sur l’éco-conditionnalité des aides d’Etat aux grandes entreprises, rejetés l’un après l’autre. Là encore, comme à plusieurs reprises, les actes ont été clairement décorrélés du discours. Pourtant l’écologie n’est pas l’ennemie de l’économie. Au contraire, celle-ci pourra créer des centaines de milliers d’emplois et être une solution concrète face au péril du chômage de masse. Nous sommes tous d’accord la-dessus. N’opposons pas les écologie entre elles, comme votre discours a pu le faire sous-entendre. 

Faire avec et pas à la place de, c’est aussi abandonner la posture paternaliste à l’égard des jeunes.  De nombreuses annonces ont été faites, notamment le repas à 1 euro au restaurant universitaire pour les étudiants boursiers. 

Mais nous restons sceptiques : l’avenir des jeunes devra-t-il encore dépendre du bon vouloir des entreprises qui seront incitées à les embaucher ? Nous pourrions renverser cette logique, leur donner une capacité d’action propre, en allant vers la mise en place d’un revenu d’autonomie jeunesse, universel, en commençant par l’extension du RSA au 18-25.

Les jeunes portent également une nouvelle conception de l’activité économique, plus durable, plus équitable. Prenons au sérieux les acteurs de l’économie sociale et solidaire, en leur donnant accès aux mêmes dispositifs de relance que ceux mis en place pour l’économie traditionnelle. Les jeunes cherchent, enfin, à s’approprier la nouvelle économie. Télétravailleurs, travailleurs indépendants, travailleurs des plateformes : des conditions de travail égalitaires et une protection sociale adaptée sont à construire pour ces nouvelles formes de travail. 

Faire collectivement, c’est répondre aux demandes de justice sociale et fiscale, de lutte contre les inégalités.  Comment allons-nous financer la crise et la relance ? Nous ne pouvons pas demander aux Français de travailler plus, ni de rogner sur leurs droits pour maintenir leur emploi. 

Nous déplorons qu’aucune nouvelle recette fiscale n’ait été envisagée. Le recours exclusif à la dette, sera à la charge des générations futures ou pèsera sur nos services publics. Nous proposons de mieux taxer les plus-values et dividendes des multinationales, qui correspondent généralement aux industries les plus polluantes et à la finance. Cela représenterait environ 3 milliards. De votre côté, vous “invitez” simplement les actionnaires à ne pas se verser de dividendes, alors que c’est d’une véritable régulation dont nous avons besoin. Nous sommes nombreux à penser également qu’une contribution exceptionnelle et temporaire sur les plus aisés s’impose. 

Pour faire avec, nous devons profondément renouveler nos institutions. Nous avons besoin d’un nouveau souffle démocratique, qui peut passer par l’instauration d’une dose de proportionnelle, la reconnaissance du vote blanc ou l’abaissement de l’âge du droit de vote, la transparence sur le financement des partis politiques, des expérimentations sur le tirage au sort. Nous demandons aussi à ce gouvernement de revoir le mode de dialogue avec les différentes composantes politiques. Notre démocratie souffre du manque de considération de l’exécutif vis à vis du législatif. En matière de libertés publiques, des lignes rouges ont été régulièrement franchies, sanctionnées par le Conseil constitutionnel : cela nous inquiète pour la suite.

Monsieur le premier ministre, il y a une grande absence dans votre discours : c’est la question de la place des femmes. Nous ne pouvons plus faire de la politique “d’homme a homme” ! Vous avez évoqué en 2 phrases cette question, alors qu’il s’agit de la grande cause du quinquennat. Aujourd’hui, nous sommes que 2 sur 12 à être montées à la tribune. Ce n’est pas normal. Il faut entendre l’exaspération des mouvements féministes. Partout nous agissons, nulle part nous décidons. Nous voulons dire aux Femmes qu’elles ont toute leur place à des postes de gouvernance, en politique, dans l’administration, dans l’entreprise. Faisons une réforme du congé parentalité pour rétablir une égalité au sein des foyer. Travaillons sur des mesures d’équité salariale. Avançons sur la parité dans les conseils d’administration, dans l’ensemble des listes municipales. 

Enfin, faire collectivement, c’est aussi apaiser, éviter d’attiser les tensions. Vous nous annoncez un projet de loi contre le séparatisme. Est-ce vraiment la priorité des français aujourd’hui ?  Allons-nous à nouveau passer des heures et des heures de débat sur des questions comme le port du voile dans l’espace publique ? Nous alertons sur les risques de ce genre de discours qui peuvent mener au pire, c’est à dire à la stigmatisation de nombre de nos concitoyens. Nous étions ce matin plus ouvert à l’égard de votre projet : nous en sommes désormais beaucoup plus inquiets.

Groupe de proposition, de construction, nous serons toujours présents pour collaborer lorsque seront portées des avancées ambitieuses et concrètes. Seulement, après trois ans de combats et d’attentes, pour la plupart d’entre nous au sein même de cette majorité, nous ne sommes plus en mesure de donner notre confiance à priori. Nous ne pouvons plus donner de chèque en blanc. Nous jugerons sur pièce. 

Pour autant, nous refusons de rentrer dans les logiques binaires qui nous sont imposées par les institutions de la Vème République. Celles qui veulent que deux blocs s’opposent : ceux qui votent pour la confiance et font partie de la majorité, et ceux qui ne votent pas la confiance et siègent dans l’opposition. Loin de l’opposition systématique, nous sommes un groupe indépendant, libre. Libre de construire du consensus, d’initier ou de rejoindre des majorités de projet autour des valeurs qui nous animent. 

Pour ces raisons et fidèle à la liberté de vote en notre sein, nous exprimerons majoritairement un vote contre et respecterons les abstentions et les votes pour de nos membres.

Merci

 

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